18.05.2002

VAUD. Résultat de trois ans de travaux, le projet de texte fondamental a été voté massivement lors d'une ultime séance plénière. Pour ses auteurs, c'est un compromis acceptable à défaut d'être un chef-d'œuvre. Prochaine étape: la votation populaire du 22 septembre. Bilans contrastés.


Les constituants vaudois ont signé leur charte. Ils devront encore la faire accepter par le peuple

Yelmarc Roulet
Samedi 18 mai 2002

«Il faut se mettre au travail.» Par ces quelques mots, la socialiste Yvette Jaggi, l'un des trois présidents de la Constituante vaudoise, renvoie les 180 membres de l'assemblée à la maison. En trois ans de travaux, les élus ont rempli dans les délais la mission consistant à présenter un projet de nouvelle charte pour le canton (Le Temps d'hier). Mais il faut passer à l'étape suivante, faire accepter ce texte par le peuple, lors d'une votation fixée au 22 septembre. C'est alors seulement que les constituants pourront se laisser aller au sentiment du devoir accompli.

Vendredi, lors d'une 50e et ultime séance plénière qui s'est tenue à Échallens, le chef-lieu du Gros-de-Vaud, la Constituante a procédé à son vote final: 135 oui, 16 non et 10 abstentions, dont celle du coprésident libéral, Jean-François Leuba. Applaudissements dans la salle lorsque le 91e oui, barre de la majorité absolue, est prononcé. Le moment solennel de la journée a été apporté par le conseiller d'Etat Philippe Biéler. «Votre texte n'est pas la fin de notre histoire, mais c'est un résultat équilibré, à la hauteur des ambitions que les citoyens pouvaient nourrir, et nous le recevons comme un cadeau», dit-il au nom du gouvernement vaudois. Mais la journée se terminera dans la cacophonie: nombre d'élus ont déjà passé à l'apéritif, alors que d'autres tiennent à clamer dans le désert d'interminables interventions personnelles.

Auparavant, les diverses composantes de l'assemblée avaient défilé au micro pour motiver leur vote. Seul Josef Zisyadis, pour le groupe Agora, dit non. «Quatre millions de francs pour le statu quo», résume-t-il. Une outrance qui soulève quelques huées. Le groupe libéral vote oui, ou plutôt «ouais à la vaudoise», précise son porte-parole Jacques Haldy. Mais après l'extrême gauche, c'est chez eux qu'il y a le plus d'abstentions et de refus, motivés par ce qu'ils appellent le «catalogue de l'Etat providence». L'écologiste Roland Ostermann tient à décocher une flèche contre l'«Olympe de la présidence» qui, pressée par le temps, aurait forcé l'assemblée à un rythme d'enfer. Les deux plus grands groupes, les radicaux et Forum (socialistes et apparentés) votent le texte sans états d'âme, mais sans enthousiasme. On compare les plus et les moins, dresse un «bilan en demi-teinte», parle de «compromis acceptable». Chacun s'accorde à considérer que c'est ce qu'on pouvait faire de mieux.

La campagne précédant la votation sera fort brève et coupée par la pause de l'été: en raison du vote par correspondance, nouveau dans le canton, tous les citoyens recevront le matériel de vote le 26 août déjà.


La nécessité de la conviction

Commentaire
Yelmarc Roulet

La nouvelle Constitution vaudoise n'existe pas encore: il faut maintenant la faire accepter par le peuple. Pour atteindre ce but, les constituants pensent avoir fait leur maximum. Si la méthode choisie – une vaste assemblée partant de zéro plutôt qu'une commission procédant à partir d'un projet – a dans un premier temps favorisé la créativité, elle a ensuite tourné au réalisme politique le plus froid, la préoccupation principale devenant d'éviter les causes et les prétextes de potentielles oppositions.
Tour à tour, les formules trop iconoclastes, les avancées trop généreuses, les réformes radicales ont été éliminées. Mais avoir supprimé tout ce qui pouvait faire peur ne suffira pas à réussir l'exercice. Un ensemble trop respectueux des habitudes peut aussi se révéler dangereux, un discours abondamment imprégné de politiquement correct aussi. Les innovations réelles et intéressantes qui existent au milieu de ce texte plutôt bavard et dispersé – la présidence gouvernementale, le programme de législature ou la cour des comptes pour en rester au seul domaine institutionnel – devront donc être défendues avec conviction. En premier lieu par ceux et celles qui viennent de voter, de signer. Faute de quoi, le long et coûteux exercice risque d'avoir été vain.


«Une refondation du contrat social»

Roger Nordmann,
29 ans, conseiller politique, socialiste.
Yelmarc Roulet

«Dans une société vaudoise qui a été tellement tiraillée par les transformations de l'Etat et de l'économie, nous avons fait un exercice de refondation du contrat social. Les tâches de l'Etat ont été fixées, alors qu'il n'y avait rien dans le précédent texte. A cet égard, je crois que notre travail équivaut à un véritable coup de frein à l'obsession du démantèlement et de la privatisation. Même des gens de droite ont fait du chemin sur ce point, alors qu'ils partaient plutôt avec une position antiétatique. J'aurais voulu une réforme du gouvernement plus forte, mais il y a quand même un changement. Et nous sommes le premier canton à avoir discuté à fond cette question. Nous en avons discuté six jours de suite en commission, avec une réelle qualité d'écoute.»


«Un texte qui n'apporte aucune véritable innovation»

Alain Gonthier,
49 ans, géographe, Mouvement pour le socialisme.
Yelmarc Roulet

«Je vote non. Il ne faut pas comparer le nouveau texte à l'ancien, mais aux dispositions plus récentes existant par ailleurs, à commencer par la Constitution fédérale. On voit alors qu'il n'y a rien de neuf, à part une assurance maternité et le soutien aux crèches qui sont déjà dans l'air du temps. Le seul plus est une demi-mesure, les droits politiques communaux pour les étrangers. Pas d'innovation héroïque donc, par contre de grosses couleuvres à avaler. Le texte pose la liberté de commerce et la propriété privée comme droits fondamentaux, les mettant sur le même pied que la dignité humaine. Cela me paraît insupportable, non seulement sur le plan théorique, mais aussi en raison du contexte économique et écologique mondial.»


«J'ai fait l'apprentissage du réalisme politique»

Christelle Luisier,
28 ans, juriste, radicale.
Yelmarc Roulet

«C'est ma première expérience politique. Elle a été passionnante et m'a donné le virus. Au début, j'imaginais que nous arriverions à un résultat plus progressiste, plus novateur. Mais j'ai fait l'apprentissage du réalisme politique, en même temps que celui de la négociation et du débat d'idées. Ma fonction de présidente du groupe radical m'a aussi un peu retenue. Je crois que notre résultat final est digne d'être présenté aux électeurs, alors que le produit de la première lecture ressemblait à une grosse boule de pâte à modeler triturée par 180 constituants. Il vaut mieux un texte qui pose des jalons que rien du tout. Cela vaut pour les droits politiques des étrangers, limités au niveau communal, ou pour les institutions, pour lesquelles nous n'avons pas trouvé l'œuf de Colomb.»


«Un dahu, juste reflet du Pays de Vaud»

Jacques Haldy,
42 ans, avocat, libéral.
Yelmarc Roulet

«La montagne a-t-elle accouché d'une souris? Plutôt d'un dahu vaudois, pataud, bancal. Mais c'est le juste reflet du canton tel qu'il est aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle je dirai oui. Il n'était pas possible de faire mieux comme équilibre entre les sensibilités, puisqu'il existe un consensus sur tous les points importants. Comme libéral, le plus difficile à avaler est la concrétisation de l'Etat providence. Mais je suis très satisfait du renforcement des communes, qui pourront mieux collaborer grâce à leurs fédérations. J'y vois un contrepoids à la tentation au jacobinisme qui est encore très présente dans le canton. Sur le plan personnel, cette expérience a été fantastique, elle m'a redonné le goût de la politique après une expérience malheureuse au Conseil communal de Lausanne.»


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