Au fil de nos «lettres»,
Christophe Gallaz, constituant,
chroniqueur et écrivain, nous
entraîne dans un feuilleton
imaginaire et poétique.
AU FIL DES CONSTITUTIONS

La photographie

Faut-il séparer l'Eglise de l'État? La question fut l'une des premières à mobiliser les membres de la Constituante. Il faut dire qu'un petit bataillon de pasteurs s'étaient fait élire en son sein, y démontrant sans tarder qu'ils imbriqueraient habilement la défense de leur intérêt professionnel spécifique dans celle de l'intérêt populaire général.

Dès lors on brassa comme jamais, dans l'assemblée soulevée par de tels thèmes, l'Histoire et la philosophie mondiales. Certains de ses membres rappelèrent que l'Eglise et l'État se rencontrent nécessairement, puisque les limites entre le spirituel et le temporel ne sont pas étanches. D'autres leur répliquèrent illico que la Bible elle-même, par la parole du Christ reprise dans le 21e verset du douzième chapitre de l'évangile selon St-Matthieu, prescrivait de rendre "à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu".

Les pasteurs contr'attaquèrent en arguant que l'Eglise formait non seulement un conservatoire de références spirituelles indispensables à nos sociétés modernes en déroute, mais qu'elle remplissait désormais de précieuses fonctions séculières d'entraide et de solidarité: celles-là même dont l'État, sommé par d'innombrables consultants successifs, se déchargeait à toute allure.

Les paramètres se croisèrent ainsi d'une façon si serrée qu'ils pétrifièrent la réflexion collective. Tandis que l'Eglise vantait ses nouvelles responsabilités dans la cité, l'État s'affichait en effet comme une instance tellement sélective à l'endroit de ses administrés qu'il parut bientôt relever, lui-même, d'un registre intégralement métaphysique.

Où se tiendraient donc à l'avenir, respectivement, le laïque et le sacré? L'État vaudois deviendrait-il une sorte d'Eglise, pendant que celle-ci s'imposerait comme la garante principale des droits individuels en matière de protection sociale?

C'est alors qu'un membre de la Constituante, songeant que le mot "ministre" désigne chez les Vaudois indifféremment le Pasteur et le membre du Gouvernement, lança cette idée simplissime: une fois pour toutes, dans ce pays, qu'on fusionne l'Eglise et l'État! L'hypothèse divise encore les intéressés.