Au fil de nos «lettres»,
Christophe Gallaz, constituant,
chroniqueur et écrivain, nous
entraîne dans un feuilleton
imaginaire et poétique.
L'apparition

A la fin du siècle dernier, je veux dire il y a quelques années, quiconque aurait observé le monde n'y aurait vu qu'un vaste tourbillon. Des populations entières changeaient de pays, et même de continent, pour fuir la guerre ou la famine. Partout, dans les villes devenues immenses, chacun ne cessait plus de téléphoner de gauche et de droite, de regarder la télévision ou d'envoyer des messages électroniques de l'autre côté de la planète. Dieu Lui-même ne savait plus très bien quels conseils donner aux humains, et ses églises restaient parfois bien vides.

Les habitants d'un territoire somme toute infime, au cœur de l'Europe, qu'on nommait le pays de Vaud, firent d'abord de grands efforts pour sembler indifférents à cette situation. Le Léman ne leur faisait-il pas bouclier contre le sud, le Jura contre l'ouest, les Alpes contre l'est et la Sarine contre le nord? Puis ils s'interrogèrent. Leur société s'organisait-elle vraiment du mieux qu'elle pouvait? Fallait-il renforcer les liens de leurs villes et de leurs villages, toujours plus fragiles au milieu du tohu-bohu général? Et que penser de tous ces étrangers qui voulaient les rejoindre pour vivre avec eux?

Il fallait faire vite. Le siècle allait finir! On visita d'urgence toutes les maisons du pays, pour y demander qui voudrait bien donner son avis sur toutes ces questions. Vous, qui faites de la politique depuis quarante ans? D'accord, bien sûr. Et vous, qui pensez que les politiciens sont idiots? D'accord! Et vous, qui trouvez que les femmes ont autant le droit que les hommes d'être politiciennes ou non? D'accord! Ainsi surgit la Constituante: cent huitante personnages, jeunes, vieux, minces ou gros, qui se réuniraient régulièrement - mais dont pas un, bien sûr, ne réfléchirait comme ses collègues. Le XXIe_siècle, enfin, pouvait advenir.