Le style en politique

Certains mots sont maudits; ils sont condamnés par le voisinage presque inévitable d'un adjectif meurtrier. Il en va ainsi du consensus, dont la connotation renvoie aujourd'hui très généralement à la notion de consensus mou.

Il est vrai que la politique en Suisse, indolente et feutrée pendant de longues années de prospérité, à peine secouée par les deux crises pétrolières des années septante, offre un exemple peu attrayant de ce que des compromis routiniers et sans substance peuvent apporter aux citoyens. Mais surtout, le style a passablement changé depuis une dizaine d'années; l'affrontement s'est fait plus dur, le verbe est plus haut, l'invective plus fréquente, de nombreuses propositions toujours plus populistes et démagogiques.

L'apparition de l'UDC zurichoise emmenée par Christophe Blocher n'en est d'ailleurs qu'un exemple parmi d'autres, même s'il est le plus répugnant. La ressemblance avec le triste mouvement de Jörg Haider, en Autriche, est frappante. La clameur tribunitienne vilipende tout accord réunissant les représentants de sensibilités politiques très diverses. Encore une fois; tout cela réveille de sinistres souvenirs datant de la République de Weimar, de Vichy ou de l'Italie mussolinienne.

A contre-courant, avec bien davantage de retenue et de persévérance, des femmes et des hommes d'État cherchent néanmoins une réconciliation dans la manière de traiter de la chose publique. Ils croient fermement qu'il faut créer un climat d'écoute, retrouver un minimum de respect mutuel et de loyauté, même entre ceux dont les idées de fond sont extrêmement différentes, même sur plusieurs principes importants. L'important est aujourd'hui de collaborer avec des démocrates, qui soient de surcroît respectueux des droits de la personne.

Il ne s'agit pas de gommer les différences, de renier ses idées ou de trahir ses engagements. Bien au contraire, chacun cherchera à en sauvegarder et à en promouvoir l'essentiel, donc à progresser, tout en essayant de retrouver avec des partenaires d'opinions différentes un terrain d'entente qui soit convenable et dont les résultats soient féconds.

Vigilance de tous les instants

C'est alors qu'il faut faire appel à cet art, si rare et si utile, de la négociation. Elle n'a rien à voir ni avec les compromis inconsistants ni avec le marchandage des charges publiques qu'on se partagerait comme une sorte de grande mafia.

Cela requiert des participants une vigilance de tous les instants et une éthique rigoureuse, mais il y a un véritable passage, à travers cette étroite porte, vers la réussite politique pour le bien commun. Le canton de Vaud commence à donner des signes (les six premiers mois de travaux de la Constituante et ceux de la table ronde) que cette méthode difficile est la seule qui puisse conduire à des solutions solides et durables.

Dans une société fracturée et manquant par trop de perspectives, parvenir à avancer de la sorte est un impératif pour tous ceux qui s'occupent de la chose publique. Jouer à la guéguerre politicienne est aujourd'hui particulièrement indigne.

C'est alors qu'il faut faire appel à cet art, si rare et si utile, de la négociation. Elle n'a rien à voir ni avec les compromis inconsistants ni avec le marchandage des charges publiques qu'on se partagerait comme une sorte de grande mafia.

Luc Recordon