Commission thématique no 4
Droits politiques Election du Conseil municipal – Article 4.1.1.2 al. 2 14 août 2000 |
Élection du Conseil municipal – Article 4.1.1.2 al. 2
Madame et Messieurs les Co-présidents de l'Assemblée constituante,
Mesdames les Constituantes,
Messieurs les Constituants,Proposition de la minorité: suppression de l'alinéa 2 de l'article 4.1.1.2
1. Introduction
1.1. La solution de la majorité
D'après le projet adopté par la majorité de la commission "droits politiques" de l'Assemblée constituante, l'exécutif communal, le Conseil municipal, est en principe élu par le corps électoral. Mais, l'alinéa 2 de l'article 4.1.1.2 de ce projet permet une exception au principe démocratique de l'élection populaire. En effet, cette disposition permet aux communes d'introduire, dans leur règlement, l'élection de l'exécutif communal par le législatif communal, c'est-à-dire l'élection de la Municipalité par le Conseil communal.
1.2. La proposition minoritaire
Une minorité de la commission s'est exprimée en faveur de l'abrogation pure et simple de l'alinéa 2. Elle considère que l'élection de l'exécutif communal par le peuple doit demeurer une règle absolue à laquelle les communes ne peuvent déroger. L'alinéa 1 suffit donc à décrire le mode d'élection du Conseil municipal.
Lors du deuxième débat en commission, 16 voix se sont exprimés pour l'alinéa qui vous est proposé contre 11 pour son abrogation.
2. Quelques données complémentaires
En préambule, notons que la Constitution fédérale laisse aux cantons la liberté d'organiser les communes comme ils l'entendent et donc de prévoir soit l'élection populaire soit l'élection par le législatif.
2.1. Canton de Vaud
L'objet qui nous préoccupe a déjà suscité récemment un débat de rang constitutionnel dans le canton. En effet, jusqu'en 1980, les Municipalités étaient élues par les législatifs communaux. Toutefois, l'article 88 de la Constitution du canton a été modifié le 2 mars 1980. Depuis, l'élection du syndic et des membres de la municipalité a lieu directement par les assemblées de commune.
Les raisons de cette modification étaient nombreuses et la majorité des votants s'étaient alors exprimés en faveur du passage à l'élection populaire. Rappelons simplement ici que ce changement avait notamment fait suite à quelques élections discutées et discutables avec lesquelles les exigences de la démocratie semblaient incompatibles.
2.2. Travaux préparatoires
L'avant-projet établi sous l'autorité du Département de la Justice, de la Police et des Affaires Militaires ne prévoit pas de modification concernant l'élection de l'exécutif communal: selon l'article 28 de ce texte, tant les municipalités que les syndics sont élus par le corps électoral.
En revanche, tout en optant pour un nombre très réduit de communes, le groupe de travail "A propos" a prévu dans son avant-projet (art. 93) une élection des conseils municipaux (exécutifs) par le Conseil communal (législatif). Cette modification – ou, plus exactement, ce retour à la situation antérieure à 1980 – n'est toutefois pas argumentée dans le rapport de ce groupe.
C'est dire qu'il s'agit d'une question controversée.
Le Comité de pilotage ne s'est pas expressément prononcé sur ce point, tout en mentionnant que l'organisation des autorités communales dépend en partie de la taille et de l'autonomie de ces collectivités (p. 39 du rapport du comité de pilotage).
Dans le cadre de la procédure de consultation, la question 17 portait sur l'élection de la municipalité. Comme le relève le rapport (p. 74 du rapport sur les résultats de la procédure de consultation), l'élection des municipalités par le peuple semble entrée dans les mœurs. 87,7% des communes interrogées et 69% des partis, associations et personnes ayant participé à cette consultation plébiscitent en effet l'élection populaire des exécutifs communaux. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les autorités qui tirent leur légitimité de l'élection populaire semblent autant – sinon plus – attachées à ce principe démocratique que les citoyennes et citoyens eux-mêmes. Le résultat de cette consultation est certainement révélateur du souci de transparence et de légitimité qui habite, à juste titre, les responsables des autorités communales.
2.3. Autres cantons
Dans presque tous les cantons, l'autorité exécutive communale est élue par le peuple. Dans certains cantons qui ne comportent que de petites communes, l'autorité exécutive est même la seule autorité élue au niveau communal.
Le canton de Neuchâtel a fait, ces dernières années, figure d'exception en prévoyant l'élection de ses "Conseils communaux" (exécutif) par le "Conseil général" (législatif). A la faveur de la procédure de révision totale de la Constitution neuchâteloise actuellement en cours, le Grand conseil de ce canton a adopté une norme qui laisse aux communes neuchâteloises le libre choix entre l'élection populaire et l'élection par les législatifs communaux (cf. à ce sujet art. 95 de l'avant-projet de Constitution et rapport de la commission du Grand Conseil, p. 97).
Dans le canton de Fribourg, le syndic, qui préside le "Conseil communal" (exécutif), est élu par cette même autorité. Le cahier d'idées n° 2 édité par le canton dans le cadre de la procédure de révision totale de la Constitution fribourgeoise soulève toutefois la question du passage à une élection populaire du syndic.
Tant l'état actuel du droit que son évolution probable dans les autres cantons plaident donc en faveur de l'élection populaire.
3. Arguments pour la solution minoritaire
3.1. Respect du principe de base démocratique
L'élection populaire est certainement l'institution démocratique la plus fondamentale. La règle veut que ce soit le peuple qui procède directement à l'élection de celles et ceux qui sont chargés de le représenter. Et les exceptions à cette règle ne doivent intervenir que là où l'élection populaire n'est pas concrètement possible: ainsi, de l'élection des fonctionnaires – encore courante dans certains cantons alémaniques – rendue impossible par le nombre trop important des agents de l'État.
D'emblée, on ne voit pas pour quelle raison une entorse à ce principe démocratique se justifierait pour un organe aussi important que l'exécutif communal. Au contraire, il s'agit précisément de choisir un petit nombre de personnes, dont les citoyennes et les citoyens sont proches, qu'ils connaissent souvent personnellement, pour leur confier l'exercice du pouvoir exécutif au plan communal.
Fondée sur le respect des principes démocratiques, la Constitution cantonale doit donc exiger une élection populaire de l'exécutif communal.
3.2. Amélioration de la transparence
L'élection populaire des exécutifs communaux permet également d'améliorer la transparence du fonctionnement de la collectivité locale. Elle garantit une élection claire, un choix transparent des responsables de la bonne gestion de la commune. L'on évite ainsi que les législatifs communaux – par jeu politique – élisent des magistrats qui n'ont aucune légitimité devant le peuple, et qui, de ce fait, tireraient essentiellement leur légitimité du législatif communal.
L'élection directe permet aussi aux citoyennes et aux citoyens d'exercer pleinement leur choix: parmi tous les critères qui peuvent entrer en ligne de compte pour choisir un gouvernement, l'élection populaire est certainement le moins mauvais. Contrairement à ce qu'avance le rapport de la commission, toute personne candidate à une élection a une "appartenance politique": elle se fait une certaine idée de la manière dont la commune doit être gérée. Peu importe que cette candidate ou ce candidat ait ou non une couleur politique; la personnalité est aussi – et c'est une bonne chose – une partie intégrante du choix des citoyennes et des citoyens.
Ainsi, la proposition de la minorité permet d'améliorer la transparence des autorités communales, en dissociant les responsabilités de l'organe exécutif de celles de l'organe législatif et à permettre aux membres des exécutifs communaux d'assumer leur gestion directement devant le peuple.
4. Examen critique des arguments de la proposition de la commission
4.1. Moins d'autonomie pour les communes?
Les résultats de la procédure de consultation montrent que l'écrasante majorité des communes qui ont répondu ne considèrent pas l'exigence de l'élection populaire comme une entrave à leur autonomie mais bien comme une règle de base de leur fonctionnement.
Il est vrai que la proposition de la commission laisserait simplement aux communes le choix entre le système de l'élection populaire et celui de l'élection par les législatifs communaux. Ce qui pourrait passer pour un gain d'autonomie pour les communes présente toutefois plus d'inconvénients que d'avantages.
Déjà, l'autonomie trouve plutôt sa place dans la gestion des tâches communales que dans l'organisation politique de la commune qui, on l'a dit, se fonde sur les principes démocratiques reconnus. En outre, on peut craindre que cette autonomie soit utilisée – ou non – en fonction des personnes susceptibles de siéger à la municipalité: ainsi, le législatif communal pourrait modifier le système pour permettre ou au contraire pour empêcher une citoyenne ou un citoyen d'être élu à l'exécutif. Je doute que de telles manœuvres – inévitables parce que dans la nature de la politique – soient de nature à améliorer la confiance dans les autorités. Il nous appartient de fixer des règles du jeu qui, précisément, ne tolèrent pas de telles manœuvres.
Enfin, ce choix laissé aux communes aurait l'inconvénient de créer une démocratie "à la carte" dans le canton, certaines connaissant l'élection populaire et d'autres non.
En laissant aux communes le choix du système d'élection de leur exécutif, la commission n'offre donc aux communes qu'une autonomie de pacotille.
4.2. "Risques du métier"
Selon la majorité de la commission, la nomination de l'exécutif par le législatif a l'avantage "de ne pas provoquer de bouleversement", et de ne pas sanctionner les prises de position "impopulaires, parfois nécessaires".
Cet argument a le mérite de la clarté. Ce faisant, la majorité de votre commission n'essaye ni plus ni moins que d'échapper aux règles du jeu démocratique. Le peuple accepte en règle générale les décisions dites impopulaires, pour peu qu'elles soient véritablement nécessaires ou qu'elles lui paraissent correspondre à l'intérêt général de la commune. Pourquoi des magistrats qui ont courageusement et fidèlement rempli leur mission auraient-ils peur de la sanction populaire?
Au contraire, l'élection populaire a l'immense mérite de remettre en question le travail de chacun, de susciter le débat, de créer une vraie opposition d'idées, bref de vitaliser le débat démocratique! Entre une élection tacite sans vagues, comme le propose votre commission, et une élection avec un vrai débat sur l'avenir de la commune, quelle est la plus saine du point de vue démocratique?
Les arguments soulevés par la majorité de votre commission laissent transparaître une peur du scrutin populaire qui nous paraît mauvaise conseillère.
5. Conclusion
Depuis 1980, les autorités exécutives communales sont élues directement par le corps électoral dans notre canton comme partout ailleurs. Cette solution est la seule qui soit conforme aux principes démocratiques fondamentaux. Aucun des arguments avancés pour donner aux communes la possibilité d'enlever au peuple cette compétence ne paraît pertinent.
En conclusion, au nom de la minorité de la commission, j'ai l'avantage de vous recommander, Madame et Messieurs les Coprésidents, Mesdames les Constituantes, Messieurs les Constituants, de ne pas adopter l'alinéa 2 de l'article 4.1.1.2.
Pour la minorité de la commission:
Alex Dépraz, rapporteur
Lausanne, le 15 août 2000