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Un appel qui monte parmi les citoyennes et les citoyens
Luc Recordon, constituant
La décision de réviser la Constitution vaudoise n'a été prise qu'avec des grognements et à reculons par le monde politique traditionnel. Seule l'ampleur d'une crise des institutions et du personnel politique a convaincu qu'il fallait retrouver et redéfinir les fondements de la vie en société dans le canton.
Une fois la décision de principe prise par le peuple vaudois de réviser la Constitution, bien avant qu'on élise celles et ceux qui en seraient chargés, l'idée est née parmi des citoyennes et des citoyens sans attache partisane et sans mandat politique de favoriser une révision vraiment rénovatrice, en profondeur, non partisane, dépassant le juridisme, en bref une révision de la Constitution qui ait du souffle!
L'idée s'est tôt propagée dans l'opinion publique et a recueilli sans attendre un important succès d'estime. Elle a conduit plusieurs centaines de personnes à signer l'appel public paru dans la presse vaudoise et romande en automne 1998, puis un nombre plus qu'inhabituel de citoyennes et de citoyens détachés des appareils de parti à se porter candidats à l'Assemblée constituante.
L'élection de celle-ci le 7 février 1999 a aussi fait la part belle à celles et ceux qui s'étaient engagés sur la base de cette démarche civique. Tout au long des travaux de l'Assemblée constituante, par delà les quelques démissions et nouvelles arrivées de constituants, plus de 60 de ses membres sur 180 ont été des signataires de l'Appel.
La nouvelle Constitution a du souffle
Les travaux de la Constituante se sont d'emblée signalés par un processus ouvert et par une volonté d'éviter la confiscation des procédures par les quelques politiciennes et politiciens chevronnés qui faisaient partie de l'assemblée. Tout de suite un intergroupe de membres de l'Appel s'est mis en place et a demandé que l'on hésite pas à sortir des sentiers battus lorsque c'était nécessaire.
Il en a par exemple très vite résulté l'élection de trois coprésidents (Mme Yvette Jaggi, MM. Jean-François Leuba et René Perdrix) issus de trois formations politiques distinctes (socialistes, libéraux, radicaux), de manière à ce que les compétences reconnues de ces personnes soient au service avant tout des travaux de l'assemblée et de ne donnent pas lieu d'emblée à une inutile et désagréable «guerre des chefs» pour savoir qui présiderait. La répartition des tâches s'est également faite dans un souci constant d'associer le plus possible toutes les composantes de l'assemblée, quitte à ce que les formations les plus importantes soient, en compensation, représentées de façon sous-proportionnelle. Le mode de travail de la Constituante a fait l'objet d'un débat initial ouvert, dont est issu après quelques semaines un règlement, qui a guidé l'assemblée tout au long de ces travaux sans être ensuite remis en question.
Les constituants ont attaqué le fond de leur tâche par une première journée de «remue-méninges» (brainstorming), qui a permis de mettre d'emblée sur la table, de manière ouverte et sans préjugés, l'ensemble des thèmes et propositions auxquels ont pouvait a priori songer, puis de les regrouper logiquement.
De l'automne 1999 au début de l'été 2000, un fécond travail en six commissions thématiques de 30 membres a suivi. Là encore, la discussion a été ouverte, guère partisane, vive parfois, créative presque toujours et génératrice de propositions quelques fois ébouriffantes. A ce stade-là déjà on pouvait affirmer que la «discussion en profondeur» réclamée par l'Appel était un pari gagné. Quant au dépassement des «habituels clivages partisans», c'était une entreprise en bonne voie.
La période du deuxième semestre 2000 et du premier semestre 2001 a servi à mettre ensemble logiquement, à discuter et à épurer les textes qui étaient sortis des travaux en commissions thématiques. Réunie désormais régulièrement à 180, l'assemblée a construit sur cette base un premier projet d'ensemble cohérent. Certes à cette époque, par la logique même d'un travail plus classique en assemblée plénière, le poids de la procédure traditionnelle des parlements a commencé à peser le plus lourdement la Constituante. Pour autant, l'audace a souvent été au rendez-vous et c'est un document très novateur qui a été mis en consultation publique lors de l'été 2001, répondant à deux autres exigences de l'Appel: celle d'un «véritable acte de rénovation de nos institutions et de la vie politique vaudoise» et celle d'aller au-delà d'un «pur exercice de technique législative».
Par sa nature même et son ouverture, la consultation publique a permis de répondre à la volonté d'une discussion «s'ouvrant à toutes les personnes habitant le canton». Les résultats ont par ailleurs montré que la population vaudoise ne rejetait pas avec horreur nombre des innovations qui avaient été émises par la Constituante.
Force est de constater que le deuxième tour de discussion en assemblée plénière, de novembre 2001 à mars 2002, a pourtant conduit à quelques coupes claires dans les projets audacieux, que d'aucuns jugeaient téméraires; un mode de travail sans doute trop hâtif (en sacralisant par trop un calendrier visant à clore les travaux au 30 juin suivant) et le retour en force des états- majors partisans, soudain inquiets en réalisant les changements que pourrait amener la nouvelle Constitution, ne sont par pour rien dans ce retour partiel du balancier.
Mais le fond des travaux était suffisamment solide pour résister à ce qui aurait pu, sinon, tourner à un véritable laminage lors de l'ultime tour de discussion (le troisième au sein de l'assemblée plénière). En marge de celle-ci dans d'intenses travaux de groupes inter-partisans tendant à des compromis pertinents, des solutions ont en général été trouvées et le texte a en définitive conservé l'essentiel de sa force.
Il faut le lire et en lire les exégètes, notamment sur le site de l'Appel l'analyse des points forts du projet, pour s'en convaincre: la nouvelle Constitution a du souffle!
Mais il faut aussi savoir se remémorer le processus qui y a conduit et les pesanteurs que l'on a su dépasser, les voies nouvelles que l'on a su faire entendre, les modes de relation qu'on a su créer, pour constater qu'il s'est agi d'un véritable acte de rénovation de nos institutions et de la vie politique vaudoise. Les habitants et les élus de ce canton ont trop souvent été brocardés en raison de leur immobilisme - pas toujours à tort, tant s'en faut - pour qu'on ne se réjouisse pas de cette mutation de notre culture politique.
Jouxtens-Mésery, le 13 août 2002